Vraiment « con », le souchet ? Par Gilles de Valicourt 4 janvier 2022 Il est courant de prêter aux animaux des caractères ou des comportements humains. Ainsi, certains s’autorisent à affirmer que le souchet est con. La question mérite qu’on s’attarde sur le vilain petit canard de la famille. PAS D’ANTHROPOMORPHISME Clarifions d’emblée la situation. Le souchet n’est ni con, ni intelligent. C’est un oiseau. Et comme pour tous les animaux, il est contre-nature de vouloir lui prêter des caractéristiques humaines, si ce n’est à encourager l’anthropomorphisme qui ne sert pas vraiment la cause des chasseurs. En effet, qualifier un renard de rusé, un lapin de mignon, une biche de craquante revient à faire passer le chasseur pour un homme dénué de toute sensibilité. Ce qui est tout le contraire de ce qu’il est, ou devrait être. De même, il est tout aussi inapproprié de justifier la mort d’un sanglier parce qu’il est méchant et poilu, celle de la pie parce qu’elle est voleuse, ou du putois parce qu’il pue. Migrateur précoce comme la sarcelle d’été, il se rencontre beaucoup de souchets en tout début de saison, en été. UN PEU PATAUD Mais revenons-en à notre souchet. Plusieurs raisons poussent des sauvaginiers à émettre ce jugement péremptoire. Le premier est lié à son physique particulier, un délit de sale gueule en quelque sorte. Ainsi son énorme bec spatulé tend à lui donner une allure portée vers l’avant, et semble le déséquilibrer au point d’altérer sa locomotion. Soit dit en passant, les canards passent pour être très gracieux en vol, mais plutôt patauds au sol. C’est donc là une caractéristique de tous les anatidés, et le souchet ne fait pas exception. Utiliser un trait commun à tous les canards, pour faire du souchet un benêt, est très malvenu. A l’image de cette cane souchet, à l’aise dans l’eau et dans les airs, les canards le sont nettement moins au sol. UN BEC ÉTRANGE De surcroît, ce bec n’est en rien un avatar génétique, mais un véritable et fantastique outil, révélateur d’une parfaite adaptation à son environnement. Le souchet se sert de cet appendice pour s’alimenter, en filtrant toutes les particules à la surface de l’eau. L’impression qu’il donne de renifler l’élément liquide aggrave les a priori de débile profond dont on l’affuble parfois. Mais cette attitude est très utile au chasseur, quand il s’agit d’identifier le canard posé sur un clair de hutte, par une nuit sans lune. Dès lors, plutôt que le railler à cause de cette proéminence, ne devrait-on pas se demander pourquoi les autres canards n’en sont pas pourvus. Incroyable instrument de cuisine, le bec en spatule du souchet est en fait un filtre alimentaire. TRES PEU MÉFIANT Autre point qui ne plaide pas en sa faveur, c’est sa méfiance ou plus exactement son absence de méfiance. Quel chasseur de gibier d’eau à la hutte n’a pas, au moins une fois, eu l’occasion de tirer un souchet dans des conditions quasi-surréalistes ? C’était il y a quelques années dans les Flandres. Un de mes amis s’était vu inviter pour une nuit de hutte. Le temps n’était pas enthousiasmant. Seuls quelques oiseaux se promenaient dans la région, et les coups de fusils qu’ils avaient déjà essuyés avaient aiguisé leur vigilance. Pourtant, vers 22h un canard se posa d’assurance à côté des blettes, puis vint tranquillement devant les guignettes. Il ne constitue pas le gros des tableaux des huttiers, mais ces derniers s’accordent à dire qu’il est peu méfiant. EN PLEINE LUMIÈRE Le fils du propriétaire de la hutte avait les yeux rivés sur l’aire de pose comme un pointer sur un perdreau, tandis que les adultes revivaient quelques chasses passées, autour de la table. Il ouvrit subitement la porte de la salle de tir sans avoir pris la précaution de refermer les visées, en hurlant « y a une pose ». Évidemment, une raie de lumière en provenance directe de la salle principale se refléta aussitôt dans la mare. Ce n’était plus une hutte, c’était un phare. Après un remontage de bretelles, les vénérables laissèrent l’apprenti chasseur tout penaud et, par acquis de conscience, jetèrent malgré tout un œil sur la mare. Ô surprise, le canard était toujours là, planté à 10 mètres de la hutte. Pas endormi, il semblait plutôt demander qui avait allumé la lumière. En guise de réponse, les vétérans lui expédièrent une salve de grenaille. Évidemment, c’était un souchet. Le tir du souchet, petit et alerte en vol, n’est pas simple. COUP DE PROJECTEUR Une autre fois, dans la Somme, deux chasseurs étaient en train d’atteler les appelants à la lampe torche, quand un sifflement d’ailes les alerta. Une forme venait de se poser à une vingtaine de mètres. Foutu pour foutu, un grand coup de projecteur dans la face du visiteur permis d’identifier un souchet. Ils eurent le temps de poser le dernier appelant, de rentrer dans la hutte, et de prendre leurs fusils. N’y croyant pas vraiment, et parce que la situation était assez cocasse ils tentèrent un nouvel éclairage, en se disant qu’il pouvait bien le laisser vivre celui-là. Le souchet ne bougea toujours pas. Devant tant de mauvaise volonté à survivre, révélateur d’un comportement manifestement suicidaire, ils durent se résoudre à exécuter ses dernières volontés. Bien que le souchet migre tôt, beaucoup d’oiseaux hivernent sous nos latitudes, ce qui offre l’opportunité d’en tirer durant toute la saison. Ici, il a rejoint le carnier en compagnie d’un fuligule milouin. DE PETITS GROUPES D’OISEAUX Sa propension à se déplacer seul ou en couple et très rarement en bande supérieure à 5 ou 6 individus le rend encore plus vulnérable. Il ne peut pas compter sur la vigilance d’un groupe, or il est bien connu que c’est une stratégie de défense commune chez les anatidés. Ainsi, si beaucoup s’accordent à reconnaître que le souchet est plus facilement berné que d’autres canards, il ne saurait être question de le rabaisser par des qualificatifs peu flatteurs. C’est un superbe petit canard aux couleurs chatoyantes, très amusant à observer, et qui, sans atteindre la virtuosité d’une sarcelle d’hiver, offre une cible pas facile à atteindre quand il fuse au-dessus de nos têtes. Et, plaisir suprême, sa chair est délicieuse. Contrairement au pilet ou au siffleur, le souchet est moins enclin aux grands rassemblements.